La France a connu un drame dans la nuit du 15 au 16 avril ! La cathédrale Notre-Dame de Paris, un des monuments emblématiques qui représente notre pays à travers le monde, a connu un incendie historique. Les dégâts sont énormes. La France et les français sont meurtris. Quoi de plus compréhensible ? Mais l’émotion doit-elle l’emporter sur la raison ?

Après l’incendie qui a ravagé la toiture et la flèche de la cathédrale Notre Dame de Paris, l’émotion est vive. (Crédit Photo : L’Express)
Lundi soir, sur tous les écrans, nous assistons, médusés, à ce spectacle de désolation. Nous regardons, impuissants, le toit de la Cathédrale Notre Dame de Paris s’effondrer avec, comme souffrance ultime, cette flèche qui chute comme un château de carte. Dans toutes les têtes à ce moment-là la même question : mais comment allons-nous faire pour reconstruire ?
L’émotion est si forte que le Président de la République prend la décision de reporter ce que toutes les rédactions de journalistes qualifiaient comme l’événement majeur de son mandat : son intervention télévisée censée répondre à la crise que traverse notre pays depuis plusieurs mois.
L’émotion est si forte, alors même que les flammes ravagent encore l’édifice, qu’une enchère au mécénat se met en route… A coup de centaines de millions d’euros les grandes fortunes de notre pays se mobilisent déjà pour reconstruire ce qui n’a pas encore fini d’être détruit.
L’émotion est si forte, qu’une fois le désastre matériel terminé, c’est le monde entier qui se mobilise et témoigne sa solidarité à la France. L’appel aux dons est officiellement lancé. A l’heure où j’écris ces lignes nous en sommes à plus de 800 millions d’euros de promesses de dons.
C’est alors que l’émotion répond à l’émotion. La deuxième consistant à réagir à la première. Elle est donc forcément plus nuancée. Il y a ceux qui approuvent cette générosité massive et ceux qui s’interrogent sur les intentions qu’elle cache.
Encore une fois l’émotion l’emporte sur la raison.
Il y a quelques semaines je m’offusquais de voir une cagnotte atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros en moins de 24 heures au bénéfice d’un boxeur « un peu trop tactile » vis-à-vis d’un représentant des forces de l’ordre. Ce sentiment que je n’étais pas seul à partager se résumait ainsi : Aussi juste soit la cause que l’on soutient, lorsque visiblement elle est acquise, continuer à la soutenir devient difficilement acceptable pour ceux qui œuvrent pour d’autres causes et qui peinent à susciter la même réaction de solidarité. Pour ma part, j’avais découvert à ce moment-là, la situation de Maxence, un petit bout de chou de 8 ans, qui lutte contre un cancer, amputé d’une jambe et dont le rêve est de pouvoir acquérir une prothèse bionique qui coûte aujourd’hui plus de 50 000 €.
Ce n’est donc pas la cause qui pose problème mais bien l’ampleur du soutien en des temps excessivement courts.
Dans l’événement qui nous bouleverse depuis quelques heures, ce n’est pas la solidarité et le soutien massif qui s’exprime qu’il faut remettre en cause mais bien le caractère disproportionné du soutien financier. Alors que les braises sont encore chaudes, qui peut dire combien va coûter la réparation ? Que les premiers dons puissent couvrir les frais liés aux études permettant d’évaluer l’ampleur des travaux à réaliser et qui coûteront, elles-mêmes, plusieurs millions d’euros n’est pas le problème. Qu’il y ait même des engagements fermes à porter ultérieurement le soutien financier à un niveau plus élevé pour financer les travaux n’en est pas un non plus. Mais que plus de 800 millions d’euros soient mobilisés par solidarité, sans évaluation des dégâts, interroge sur les priorités des donateurs. Cela élève même la suspicion sur leurs intérêts à intervenir alors que, personnellement, je ne doute pas du caractère réellement philanthropique de leur soutien. Des voix, anonymes et connues, s’offusquent, se révoltent, alors que le geste est beau, simplement généreux.
Le poids de la parole politique
Mais à cette philanthropie discutable, non pas sur le fond mais sur la forme, s’ajoute des messages qui risquent encore de semer le trouble sur la situation réelle que le pays traverse et de jeter un peu plus le discrédit sur la parole politique.
Au-delà des annonces concernant le crédit d’impôt pour cet événement exceptionnel, laissant entendre par ailleurs que les autres causes ne le méritent pas, les annonces faites par ceux qui dirigent certaines collectivités locales m’interrogent tant elles caractérisent leur mauvaise foi !
Comment peut-on dire à nos administrés que nous n’avons plus d’argent pour financer des crèches, des écoles, des équipements sportifs parce que l’Etat nous a fait les poches et en moins de 24 heures porter la décision d’un soutien financier à la cause de la reconstruction de Notre Dame ? Que les familles Arnault, Pinault, Bettencourt se mobilisent est une chose, mais ils soutiennent cette action avec l’argent qui leur appartient.
Comment une chambre régionale des comptes appréciera-t-elle la décision d’une collectivité d’engager de l’argent public au soutien d’une cause que l’argent privé déjà collecté pourrait suffire à financer ?
Comment les élus de ces collectivités, membres d’associations criant « au voleur » lorsque l’Etat baisse leurs dotations, espèrent-ils encore susciter une once de crédibilité lorsqu’ils expliquent aux bénévoles d’une association que la salle qu’ils utilisent ne pourra pas être réparée à cause d’un gouvernement hors-sol ?
Le rôle d’un élu est aussi d’appeler à la raison, d’appeler les généreux donateurs privés à la mesure, de les remercier pour cette belle générosité, d’appeler cette générosité à se consacrer à des causes plus anonymes mais qui ne sont pas moins belles.
Notre Dame de Paris ne doit pas effacer nos drames quotidiens. La générosité est encore plus belle lorsqu’elle est la fille de la raison et non de l’émotion.