
Pour répondre à la crise des « Gilets Jaunes », le Président de la République a décidé de donner la parole aux français. Initiative jamais réalisée auparavant, ses détracteurs y voient une opération de com’ de plus pour Emmanuel Macron, ses partisans y voient une opportunité unique de sortir le pays de l’ornière dans laquelle il se trouve.
Quand dans l’Histoire de France un Chef de l’Etat s’est-il tourné vers les citoyens pour recueillir leur opinion en mouillant lui même la chemise, en allant au contact des élus locaux et des Français ? Jamais. Cet exercice est inédit dans le fond et dans la forme. On peut regretter que ce soit la conséquence d’une mobilisation populaire mais il faut concéder à Emmanuel Macron le courage de se confronter à ceux qui veulent que les choses changent dans notre pays. Cependant, en libérant la parole, le Président de la République prend le risque d’ouvrir la porte à un grand déballage, plutôt qu’à un grand débat.
Les thèmes proposés ont le mérite de poser un cadre. Cependant, puisque le pilotage de ces débats est confié aux maires, les formes de ces réunions sont aussi diverses que les édiles et les territoires qu’ils représentent. Dès lors, comment faire la synthèse de ce qui s’exprime ? Faire la synthèse de quoi ? A quoi peut ressembler la synthèse d’un diagnostic reposant sur une lecture partielle (et parfois partiale) de la situation de notre pays ? A quoi peut ressembler la synthèse des propositions qui relèvent d’une liste au Père Noël ?
Parce que, la difficulté première dans l’organisation de ces débats, c’est que ceux qui s’y déplacent ne sont pas représentatifs de la population dans son ensemble. Ceux qui s’y expriment font parfois référence à de fausses informations. Prononcés sous la forme d’un réquisitoire, les mots sont parfois bus par l’assistance sans même une remise en cause possible ! Les propositions qui sont faites, lorsqu’elles concernent des dépenses, ne font l’objet d’aucune évaluation… Et comme personne n’en conteste l’intérêt, elles sont forcément possibles. Enfin les économies à réaliser ciblent régulièrement les élus qui sont présenter comme des dépensiers. Diminuer le nombre de parlementaires semble être une bonne idée, mais cela entraînera un élargissement du périmètre territorial de leur circonscription. A un moment où on leur reproche leur éloignement du terrain, est-ce vraiment la bonne solution ? Comprenons-nous bien, à titre personnel, je suis favorable à la réduction du nombre de parlementaires, mais je pense connaître leur quotidien et je suis loin de penser que ce sont des fainéants payés grassement par le contribuable pour dormir sur les rangs de l’assemblée !
En somme, ces « grands » débats laissent croire à ceux qui y participent qu’il est possible de (re)construire la France en 2h, un peu comme autour de la dinde du dimanche chez Grand Maman. Quelque part, on délégitimise le travail des élus de terrain et le travail parlementaire. Comprenons-nous bien, je ne remets pas en question la volonté participative de la population française que je trouve tout à fait bienvenue, je pense néanmoins que lui laisser croire que la décision politique sur l’avenir d’un pays peut reposer sur la seule discussion citoyenne est un leurre.
Et quand bien même ces échanges avec la population sont enrichissants – ayant organisé deux débats pour l’heure à Carbon-Blanc, je me suis moi-même nourri de la perception des choses et des propositions de mes concitoyens – ne risque-t-on pas de créer une frustration plus forte chez ceux qui, même si leur avis est minoritaire, ont la certitude du contraire ?
Finalement, ce dialogue relancé avec la population française n’est ni un grand débat, ni un grand déballage. Il est une nouvelle étape dans la construction démocratique de notre pays. Aujourd’hui, personne ne peut savoir ce qu’il en ressortira, mais l’exercice en lui même est la preuve que la relation du citoyen à l’élu doit changer dans notre pays. Nos institutions n’ont pas évolué avec notre société.
Depuis l’émergence des nouveaux médias, des chaînes d’information en continu, des réseaux sociaux, notre pays ne se gouverne plus par une vision politique à long terme, il se gouverne à l’émotion. La France et les Français ont besoin d’un capitaine qui tienne la barre, d’hommes et de femmes politiques dotés d’une colonne vertébrale, assumant des positions claires, acceptant l’impopularité et le risque de ne pas être réélus.